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C’était l’heure des Ombres, le moment le plus sombre de la nuit. La lune n’était pas levée. Il faisait noir et au milieu d’un grand groupement de pierres marquant le cercle de Eagla Portach, le marais de l’aigle, les caretakers, aussi connus comme les fir bog, tenaient secrètement conseil.

Ils ressentaient l’appel monter depuis leurs pieds à travers leurs veines, un sentiment de danger venant des profondeurs du sol qui formait le marais. Ils sentaient la lune venir, la lune brillant d’un bleu éblouissant. Ce serait un signe que l’on a pas vu depuis des décennies. Réunis dans le cercle, écoutant l’appel qui courait dans le marais, leurs yeux se croisèrent dans l’obscurité profonde et ils acquiescèrent de la tête. S’agitant nerveusement au milieu des monoliths massifs, les anciens s’accordaient sur un point : cette lune bleu annonçait pour le Royaume la venue d’une grande calamité.

A l’unisson les anciens prirent une longue inspiration et s’enfoncèrent profondément dans le marais. Leurs esprits s’étendaient comme des racines, hésitant tout d’abord, puis se joignant et se mélangeant ensemble pour ne former qu’une seule conscience. La lune s’élevait dans le ciel, bleue comme un myosotis tandis qu’ils partageait leurs souvenirs les plus lointains.

Le cercle de fir bog se souvint. Ils se souvinrent tout d’abord de la dernière fois qu’une lune bleu s’était levée, il y a dix ans, lorsqu’une terrible guerre avait déchiré les terres et pratiquement détruit le Royaume jusque dans ses racines. Il se souvinrent de la lune précédente, lorsque la titanesque Tempête du Voile, la Malevolence, menaçait Eagla Portach lui même. Il se souvinrent aussi de la lune bleue dont les présages avaient été mal interprétés, apportant des changements mais pas de destruction. Il serait difficile de convaincre le Haut Roi de prendre leurs présages au sérieux après cette erreur, mais malgré tout il fallait envoyer l’aigle messager. Il en allait de leur responsabilité d’ancien fir bog de lire les présages du futur, et d’avertir le Haut Roi quand le Royaume est en danger.

Afin d’interpréter correctement les signes de cette lune bleue, les anciens savaient qu’ils devaient remonter plus loin dans leurs souvenirs, au temps où la première lune bleue se leva au dessus du marais, au temps où la lune avait signalé la naissance de leur race. Les fir bog se souvinrent de leur ancêtre, un homme humain. Il vivait dans une maison de pierres grises qui surplombait une colline verte loin du marais. Dans leur mémoire, ils marchaient le dans les couloirs et les corridors familiers, passaient sous la herse levée, marchait lourdement sur le pont qui enjambait les douves, et cheminait vers le marais, juste comme le faisait Eochaid mac Eirc il y a des années de cela. Il devinrent lui encore une fois.

Eochaid était inquiet. Personne d’autre au conseil du Haut Roi Rindal ne s’intéressait à la reconstruction du Royaume, dévasté comme il l’était par le Premier Fracas. Ils préféraient se disputer, voir commencer à se balancer des insultes. Eochaid aimait une bonne bagarre au moins autant que chacun d’entre eux, et pouvait tenir sa position dans un combat. Mais ce n’étaient pas de bonnes disputes. Ce n’étaient que des tentatives d’écraser les autres pour qu’ils soient d’accord, et laissaient une mauvaise impression et du ressentiment envers le conseil du Haut Roi.

Un jour d’automne, alors que le ciel était noir, nuageux et que l’atmosphère était lourd, Eochaid rentra chez lui pour trouver un message qui l’attendait. Écrit noir sur blanc, un parchemin provenant du Conseil, il lui demandait de rendre son épée au cercle des votants et de quitter le château à jamais. La lettre écrite crûment décrivait ensuite les sévices qu’il adviendrait s’il ne s’y soumettait pas : sa fille serait violée et tuée, son épouse serait dénudée et traînée dans la rivière, et ses jambes brûlées jusqu’à ce qu’il soit aussi petit qu’un luchorpan.

Lorsqu’Eochaid montra la note glaciale à sa femme Teia, elle tira ses couteaux de lancé. Elle voulait combattre les membres du conseil un par un jusqu’à trouver l’auteur du message. Eochaid fut pratiquement découpé en morceaux lorsqu’il essaya de la convaincre de fuir. “Tu n’est qu’un lâche, un rat qui quitte le navire !” elle pleura, agitant les lames folles vers lui.

Anxieusement, Eochaid passa ses doigts dans ses cheveux. “Nos ennemis au conseil sont puissant, Teia. Et avec la force brute de Obdgen, ils n’en sont que plus puissant. Je sais ce qu’il va arriver. J’entend les pas de la mort à notre porte. Je sais que tu peux te défendre seul, ma cherie “ Il regardait les lames alors qu’elle se dressait contre lui. “mais nous ne pouvais pas protéger la petite Tiu pour toujours. Elle mérite de grandir libre et heureuse, pas de se cacher loin dans les murs. Je ne souhaite pas ce genre de sécurité pour elle. De plus j’en ai assez d’être en guerre contre les inconscients du Conseil qui veulent placer la couronne sur ma tête. Je n’ai aucun désir de continuer cette vie de politique et d’avidité. Nous avons chassé dans Móin Alúine, et nous connaissons ses chemins cachés. Laisse nous aller la bas, dans le Marais d’Allen, et construire une nouvelle vie.”

Teia le regarda droit dans les yeux, des larmes de fierté dans les yeux. “Je sais que tu as raison, Eochaid. Je préfèrerais les ouvrir en deux jusqu’à trouver leurs secrets, mais au nom du futur de Tiu, nous ferons comme tu le dis. Nous serons prudents. Mais promet moi une chose, maintenant et à jamais : si l’un de nous découvre l’auteur de cette lettre et qu’il a l’opportunité de pouvoir tuer cette homme, il le fera. Peu importe les conséquences. Jure le moi sur l’amour que tu as pour moi.”
“Je te le jure.”
Teia mordit sa levre. “Jure le au nom de ton coeur et du mien, et qu’ils se tordent et éclatent si tu brises ce voeu.”
Eochaid opina du chef, et ne revela pas l’autre pensée qu’il avait dans le coeur. Il savait qu’Obdgen devait être derrière ses menaces. Un jour, quand sa famille sera en sécurité, il tiendrait la promesse faite à Teia.

Comme tout le reste après le Premier Fracas, le Móine Alúine avait changé grandement dans sa nature, il était devenu l’un des endroits les plus hantés et mystérieux du royaume. La forêt qui entourait le marais était pratiquement impénétrable, et d’étranges brumes remplies de voix couvraient les endroits les plus bas. Malgré tout, Eochaid et Teia se sentait chez eux, en sécurité et à l’abri du conseil du Haut Roi.

Ils construisirent une maison à partir de bois ramassé et de block de tourbe, le tout fermement ficelé avec des lianes. Ils s’installèrent ici pour élever leur fille comme un enfant des bois et une guerrière. Tiu grandit sauvage et insouciante, si bien qu’elle n’avait pas les craintes d’un enfant de la ville, elle avait le coeur chaud et une douceur envers les créatures de la forêt.

Lorsque Tiu dit à ses parent qu’elle s’était fait des amis dans les tréfonds du marais, ils sourirent à ses compagnons imaginaires et lui dirent d’apprendre leur magie. Tiu avait pris l’habitude de rapporter de petits cadeaux provenant de ses mystérieux amis, comme des amulettes taillées dans le coeur du bois, ou des chaînes de marguerites à la fraîcheur éternelle. Eochaid et Teia n’y pensaient pas trop, supposant qu’elle fabriquait ses cadeaux elle-même, donc ils les suspendaient à la porte pour porter bonheur.
La profonde magie du marais les protégeait du pire des Tempêtes du Voile, et la petite famille resta heureuse et en sécurité pendant plusieurs années.

Un soir d’automne, la course des nuages était basse dans le ciel, annonçant une Tempête du Voile de proportions épiques. Il y avait comme un fond glacial d’hiver dans l’air, Eochaid et Teia s’assirent à l’intérieur au chaud près du feu. Teia tricotait sur son fauteuil usé tandis qu’Eochaid affutait son couteau pour elle. Le crépitement des flammes au dessus des briques de tourbe et le bruit répété de sa pierre à aiguiser étaient les seuls sons que le couple pouvait entendre tandis qu’ils regardaient par la fenêtre l’une des lunes se lever au dessus de la brume du marais.

Chose étrange, la lune était bleue, bleue comme les fleurs sauvage qui éclausent dans le marais au printemps. Ce n’était pas l’évènement le plus étrange qui accompagna une Tempête du Voile, mais quelque chose au sujet de cette lumière bleue qui se répandait par delà le Móine Alúine semblait annoncer un changement, une crise dans la création. Eochaid jetta un oeil à sa femme qui faisait face au feu avec son tricot et acquiesça de la tête, s’accordant sur le fait qu’il était largement l’heure pour Tiu de rentrer. Il se leva et s’étira, s’apprêta à l’appeler par la fenêtre quand il fut interrompu. Quelqu’un frappa bruyamment et de façon péremptoire à la porte, brisant le calme avant la tempête. Eochaid et Teia se regardèrent. Ce ne serait pas la première fois qu’un voyageur viendrait dans leur maison dans le marais, cherchant un abris face à la tempête approchant. Mais, Eochaid glissa l’un des couteaux de sa femme dans sa poche avant d’aller ouvrir la porte. Dehors se tenait trois hommes immenses portant l’armure et les couleurs du Haut Roi. Leurs larges sourires reflétaient le bleu de la lune. Eochaid sourit en retour et ouvrit la porte rapidement, secouant les amulettes et les fleurs qui étaient accrochés. Avant qu’il ne pu les accueuillir, les hommes dévoilèrent leurs mains révélants trois lames nues. Avant qu’il n’eut le temps de sortir son couteau le première homme le frappa à la gorge de la garde de son épée et couru à l’intérieur.
L’un vient derrière Teia, l’attrapa par les cheveux et frappa sa tête contre le rebord de la table. Eochaid parvint à prononcer son nom avant que les deux autres soldats massifs ne l’attrapent par les épaules et ne le collent contre la cheminée au dessus du feu. Eochaid se débattait pour respirer et mettait des coups de pieds alors que les flammes lui léchaient l’arrière des jambes. Une odeur de chair saisie remplit la pièce.

“Teia, est ce que tu vas bien ?” Toussa Eochaid, mais pas de réponse venant du tas sur le sol.
“Qui êtes vous ?” demanda t il “Pourquoi avez vous fait ça ?”
L’homme se contentant d’un large sourire en réponse.

Un léger bruit annonça quelqu’un d’autre à la porte. Eochaid regardait avec des larmes de rage dans les yeux alors qu’un visage familier apparaissait à la porte, entouré d’un halo bleu causé par la pleine lune. Lui aussi portait les couleurs du Haut Roi, mais son tabard était brodé de fil brillant ressemblant à de l’or.

“Batard !” s’exclama Eochaid alors que le visage se dévoilait à la lumière vacillante des flammes. Obdgen avait laissé poussé sa barbe et son sourire sans pitié était assombrit alors qu’il fixait Eochaid dans les yeux. Le petit homme continua “Je devrai te tuer pour ça ! Et si Teia est morte, je jure que ta morte ne sera pas douche.”
“Bravement parlé” ricana Obdgen à travers sa barbe “mais j’en n’attendais pas moins de toi.”
“Lache moi, et je vais te tuer,” riposta Eochaid “mais je sais que tu n’en as pas le courage.”
“Tu sais que c’est toi le lâche”, répondit Obdgen “Tu n’étais pas dans mes bonnes grâces, et maintenant tu réalises ce que ça va coûter.” Sur ce, le grand homme s’assit dans le siège en osier à coté du feu et réchauffa ses mains près des jambes d’Eochaid. Il semblait apprécier l’odeur de chair brûlée qui envahissait la pièce.

“Maintenant” Dit Obdgen s’allongeant dans le fauteuil “J’ai une offre à te faire. Je combattrais avec plaisir, mais il faut que je te prévienne, Eochaid : Tu payerais un terrible prix. Sinon tu peux me rendre une simple faveur et je te libère toi et ta famille, sain et sauf. Peut être que toute le monde survivra.”
“Qu’elle est cette faveur ?” demanda Eochaid serrant les dents.
“Tu vas revenir avec moi dans la ville, jurer allégeance au Haut Roi et confesser ta culpabilité pour tous tes crimes.” Ses yeux noirs brillaient alors qu’il regardait les jambes d’Eochaid s’agiter dans la chaleur du feu.

“Mes crimes ? Quels crimes ?” s’exclama Eochaid, “Je n’ai rien fait ! Même en ville, j’étais le seul membre du conseil qui avait un sentiment de honte.”
“Honte ?” dit Obdgen. “Honte à toi effectivement. Tu oublies tous ces duels que tu as fait contre les membres du conseil, les menaces que tu as proféré contre le Haut Roi, les pots de vins que tu as versé, et le pire de tout, les relations contre-nature que tu as eu avec ta fille. Pauvre fille. Nous ferions mieux de revenir en ville rapidement, que tu puisses mettre fin à ces rumeurs.
“J’ai encore des amis au conseil. Est ce que Rindal est toujours le Haut Roi ?” demanda Eochaid. “Il se souviendra forcement de moi !”
“Hélas” dit l’homme “Rindal a été déclaré fou et il a du abdiquer. Je suis le Haut Roi maintenant. Ces gars font partis de mes hommes de confiance, vois tu.” Il sourit comme s’il avait gagné une grande bataille.
L’espace d’un instant, Eochaid fixa le tas sur le sol qu’était Teia. Elle ne bougeait plus. Il se souvint de la promesse qu’il lui avait fait, et il sentit son coeur battre dans sa poitrine. Tiu était encore dehors là quelque part. “Je ne te prêterai jamais allégeance” déclara Eochaid. “Relâche moi et réglons ça entre nous.”
“Es tu prêt à en payer le prix ?” interrogea Obdgen, souriant de plus belle.
“Peu importe le prix, batard,” dit lentement Eochaid, alors que son noeud dans l’estomac s’accentuait. “réglons ça que je puisse m’occuper de ma Teia.”
“Parfait. Je préfère largement me battre en duel” grongna le Haut Roi. Il fit un signe à l’homme qui avait jeté Teia, et la grosse brute traversa la pièce. Obdgen dégaina son épée et fit un signe à l’autre homme qui relâcha Eochaid.
Eochaid frotta ses jambes là où il avait été brulé, puis se tint debout face à Obdgen. “Laisse moi voir ma femme. Je prendrai mon épée et nous nous retrouverons dehors.”
“Tu peux t’occuper d’elle brièvement si tu veux, mais tu n’auras pas d’épée” dit le Haut Roi, “Comme je te l’ai dit, tu devras payer le prix.”
“Tu es vraiment un lâche et un batard, n’est ce pas?” dit Eochaid, le coeur lourd. Il avait comme un noeud de bois dans la poitrine.
“Un bâtard, mais moins lâche que toi,” gloussa le Haut Roi dans sa barbe. “Lequel de nous était trop faible pour ramasser la couronne quand elle était offerte ?”

Boitillant, Eochaid se pencha sur Teia. Il eu un soupir de soulagement quand il vit que sa femme respirait encore, cependant elle allait avoir une bosse grosse comme un oeuf de d’oie. Il passa sa main dans ses cheveux et laissa un rapide baiser sur son front. Il était temps de tenir sa promesse.

Un grognement d’avertissement de l’un des soldats l’empêcha d’atteindre le mur sur lequel était suspendue son épée. A contre coeur, Eochaid sortit de la maison sous la pluie légère qui commençait à tomber. Tout brillait d’une lueure bleue sous les rayons de la lune : les nuages au dessus, la terre mouillée, les yeux et les dents des gardes sans pitiés, et l’épaisse cotte de maille du Haut Roi assortie à son épée à deux mains.

Eochaid sentit une boule se nouer à nouveau, vibrante de haine. Ce ne serait pas un combat équitable. Sa seule change résidait dans son faible poids et son jeu de jambes supérieur. Peut être pourrait il danser autour du Haut Roi et le faire tomber. Eochaid fouilla dans ses poches où le couteau était caché; un faux pas, et Obdgen subirait la promesse faite à Teia avec l’une de ses propres lames.

“Je sais que tu as peur,” coupa Obdgen, l’interrompant dans ses pensées. Il pointa son épée tintée de bleu vers Eochaid. “N’espère pas pouvoir t’enfuir d’ici, comme tu l’avais fait dans la forêt. Si tu essayes de m’avoir avec l’un de tes coups de lâche, ça te coûtera bien plus que tu ne l’imagine.”

Eochaid cligna des yeux sous la pluie qui éclaboussait son visage, fixant immobile son adversaire.
“Pas de réponse ? Je savais que tu étais trop lâche pour réagir, alors j’ai une autre surprise pour toi.” Obdgen secoua l’eau de sa barbe et sourit. “Où est ta charmante fille ce soir ?”
La fureur d’Eochaid dépassa sa peur. “Qu’est ce que tu lui as fait ?”
“Moi ? rien. Mon homme de confiance, par contre, a un étrange sens de l’humour. Il l’a noie dans l’eau la plus profonde du marais. Heureusement elle est encore intacte… mais je ne pourrais pas lui en vouloir s’il goûtait de son doux miel.”
“Tu mourras ce soir pour ça . Et je sauverai ma fille. Je le jure par les anciens dieux et les tempêtes,“ dit Eochaid, soufflant de la buée sous la pluie glaciale et s’avançant vers Obdgen.
“Tu as intérêt à te dépecher, Eochaid” dit Obdgen alors qu’il replaçait ses mains sur son épée massive. “Plus long sera ma mort, plus profond dans la boue elle sera. Surtout avec le poids supplémentaire qu’elle porte.”
“Qu’est ce que tu veux dire par là ?” cracha Eochaid s’approchant.
“Lorsque nous l’avons trouvée, il y avait des créatures qui dançaient avec elle. Nous les avons tués et attachés les corps à ses jambes. Comme toi, elle doit certainement commencer à souhaiter avoir moins de petis amis.” dit le Haut Roi.

Avant qu’il n’eut fini ses mots, Eochaid le chargea comme un sanglier enragé. Cependant, le guerrier armé semblait s’attendre à cette attaque et glissa sur le coté. Lorsqu’Eochaid le dépassa, le roi lui assena un rapide coup à mi hauteur.

Les hommes du roi rirent à cette action, et le Haut Roi sourit devant sa belle manoeuvre. Eochaid toussa, récupérant du coup et essayant de reprendre ses esprits. La douleur de la blessure n’était rien à coté de la rage qui brulait dans sa poitrine, nouant son coeur. Alors que l’orage grondait au dessus, il se retourna vers Obdgen et rugit. C’était un son guttural, ressemblant plutôt au cri d’une bête blessée qu’à un homme.

Obdgen rit simplement à nouveau. La pluie devenait plus intense , et avait pratiquement nettoyé le sang d’Eochaid.
La lueur bleue imprégnait tout dans la clairière.

“Tu n’as aucune change, Eochaid. Avec ou sans arme, sous la pluie ou par temps sec, je suis plus fort. Agenouille toi et admet le !” La cotte de maille d’Obgen grinça de nouveau alors qu’il baissait son épée une fois de plus, pointant droit vers la poitrine blessée d’Eochaid.
“Abandonne maintenant, et j’enverrai l’un de mes hommes vérifier si ta fille est encore en vie. Nous la réconforterons. Après quelques nuits passées avec nous, je liberai la fille et la laisserait partir avec une pièce d’or pour la remercier.”

Tenant son ventre ensanglanté, Eochaid fixé Obdgen droit dans les yeux. Aussi misérable qu’était l’offre, Eochaid savait qu’il n’avait pas d’autre option. Il tomba sur ses genoux devant le Haut Roi.
“Tu abandonnes si facilement. Comme tu l’as toujours fait” dit le Haut Roi. “Maintenant, je suis un homme de parole, donc…” Il se tourna pour aboyer un ordre. Mais en un éclair il vit que la clairière était vide. Ses hommes avaient disparus dans la Tempête du Voile. Obdgen se penchât en avant, cherchant sous la pluie.

Attendant cet instant, Eochaid se leva de la boue et sortie le couteau d’un mouvement fluide. Il bondit dans les airs en direction du Haut Roi, le poignardant et le tranchant. La lame affûtée ouvrit la bouche d’Obdgen jusqu’à son oreille, éclaboussant du sang dans la nuit.

Avec un cri mélangeant la douleur et la surprise, Obdgen repoussa Eochaid, projetant l’homme contre le sol. Le regard de peur dans ses yeux réchauffa le coeur noué d’Eochaid tandis que le Haut Roi essayait de stopper le saignement de sa main couverte de maille. L’espace d’un instant, leurs yeux se figèrent de douleur et de rage. Puis, Sans un mot, Obdgen se retourna pour courir vers la forêt.

Eochaid roula péniblement sur ses pieds, s’apprêtant à pourchasser l’homme pour lui trancher la gorge, mais il hésita. Il était tiraillé entre sa promesse d’une part et sa femme et fille d’autre part. Le noeud de haine dans sa poitrine se nouait de plus en plus et il cria de frustration. Il su ce qu’il avait à faire. Après un instant, Eochaid retourna vers le marais pour sauver Tiu. Tenant sa blessure, il se précipita par dessus les racines et la mousse, s’aventurant à travers la tempête.

Le Móine Alúine cachait de nombreux secrets, et ce qui se dissimulait dans ses brumes n’était pas toujours amical. Cependant, la tempête étant sur le point d’atteindre son point culminant, chaque créature se terrait au plus profond de sa cachette. Dans la faible lumière bleue, Eochaid était seul et bondissait de monticule en monticule à la poursuite des traces de pieds des gardes du Haut Roi. Ses propres pieds étaient coupés et piqués par les pierres et autres branches mortes, mais Eochaid n’y prettait pas attention et il se précipitait plus vite que jamais à travers le Marais de Allen.

Il atteint l’endroit où se regroupait les eaux sombres, un trou profond entouré d’arbres emmêlés et de longs sarments. Ici et là, des fleurs réfléchissant la lumière dans l’obscurité, et une vieille souche, couverte de mousse, voûtée comme les épaules d’un vieil homme. Sur la rive, des signes de boucheries : des bouts de bois cassés et des fleurs écrasées dans la boue, des doigts mutilés dans les flaques, et même une étrange oreille gisant sur le sol. Eochaid pris une profonde inspiration. Sa poitrine brûlait du feu de sa blessure et du voeux de haine qu’il avait fait. Puis il plongea dans l’eau.

La saleté se collé à Eochaid à mesure qu’il plongeait, et dans l’épais liquide il se débattait désespérement, espérant toucher Tiu. Forcé de remonter à la surface pour respirer, il plongea à nouveau, sans se soucier qu’il aggravait sa blessure. A chaque fois ses poumons abandonnaient avant qu’il n’eut trouvé quelque chose.

La tempête rugissait autour de lui, sa magie et son vent déchiraient la surface du marais, l’agitant en une écume misérable.

Sentant ses forces le quitter alors même que la Malevolence atteignait sa plus grande intensité, Eochaid cria vers les cieux. Il ignora la pluie, l’eau du marais et le sang dans sa bouche pour prêter un nouveau serment, un serment de désespoir. La magie de la tempête lui soufflait sur le visage alors qu’il abandonnait tout espoir de vengeance, et même de survie, tout ce qu’il voulait c’était sauver sa Tiu, sa fille.

Prenant une inspiration qui serait sans doute la dernière, Eochaid plongea encore une fois dans les prodondeurs du marais. A cet instant, la lune bleue atteignait le zenith de sa course dans le ciel, et la Malevolence elle même vibrait comme un élément vivant.

Au lieu de faiblir, perdant son souffle et sa force, Eochaid se trouva à plonger encore plus profond qu’avant. Plus il était profond, plus il se sentait fort. Il était devenu insensible à la douleur, se dit il, mais en vérité il était en train de changer.

Les saletés de la marre qui étaient accronchées à sa peau devinrent sa peau, ses jambes brulées devirent plus longues et plus fortes, comme du bois durci, et ses bras s’étendaient comme des branches. Clignant de ses nouveaux yeux, Eochaid réalisa qu’il pouvait voir à travers l’obscurité. Il y avait sa fille là au fond du puis, remontant vers le haut mais attachée à des rochers et des petits corps mutilés. Il ne pouvait pas couper les liens qui la retenait au fond. Eochaid dut la soulever et il devint encore plus large et plus fort, remontant à travers les eaux sombres vers la surface.

La tenant dans ses larges mains noueuses, Eochaid étendit le corps de Tiu sur la rive. Il ressentait à la fois la terreur et l’espoir de la ramener à la vie, pour que sa bonté et sa gentillesse soient encore de ce monde. Les corps attachés à elle étaient des luchorpáns découpés en morceaux et donc impossible à sauver.

Cet instant était interminable, mais juste lorsque la tempête commençait à se calmer, Tiu se reveilla. Elle cracha de l’eau noire et vomis de larges jets. C’était peut être la tempête, peut être aussi le désespoir de son père, ou bien encore le sacrifice de ses amis, les luchorpan, mais Tiu vivrait.

Quand elle fut capable d’ouvrir ses yeux et de regarder la gigantesque créature penchée sur elle, Tiu cria presque de frayeur. Mais elle reconnu un regard familier dans ses yeux. Avec l’intuition de l’enfant, elle placa sa main sur son nez d’écorse.

“Père ?” dit elle.

Eochaid tomba en larmes, des larges goûtes tombèrent le long de son visage pour l’éclabousser. “Oui c’est moi. La tempête m’a changé pour te sauve. Ou peut être était ce la lune. Ça n’a pas d’importance. Tu es en vie, Tiu.”
“Merci, père.” Tiu commença à pleurer aussi, et renifla alors qu’elle se remettait sur pied dans la boue et montra les petits corps sur la ravie. “Nous devons les enterrer.”

Le père et la fille creusèrent à travers la terre et la mousse qui formaient la rive où Tiu jouait avec ses amis. Ils dirent quelques mots pour les luchorpan, et furent lavés par les derniers instants de la tempêtes.

Sur le chemin du retour vers leur maison afin de vérifier si Teia allait bien, ils entendirent les cris d’un homme faire écho dans le marais.

Tiu grimpa sur le corps noueux d’Eochaid afin d’écouter. “Mes amis ont trouvés le Haut Roi” dit elle doucement. “Sa mort prendra du temps. Ça lui servira de leçon.”

Eochaid acquiesça. Il se demandait ce que Teia dirait à propos de sa promesse, et il tapotait l’endroit de sa poitrine ou se trouvait le noeud. La chair ici était dure et vrillée, comme sur un vieil arbre. Il savait que sa femme dirait qu’il avait retenu sa colère trop longtemps. A ce jour, lorsqu’un fir bog se confronte à la dureté du monde, ils disent qu’il est marqué par les courbes et les noeuds du coeur.

Bien des années plus tard, lorsque lune bleu annonça une nouvelle calamité, Teia et Eochaid joignirent leurs mains sur la rive du profond marais. Ensemble ils répétèrent leur voeux de mariage et avancèrent dans l’eau sombre.

Ils vecurent ici pour le reste de leurs jours, et leur fille devint grande et forte, marquée par le marais comme ils le furent. Il apprirent que tant que leurs pieds toucheraient le sol sacré de cet endroit, ils ne feraient qu’un l’un avec l’autre comme des racines entremêlées. Ils apprirent à lire les présages qui les avertissait d’un danger, et les signes annonçant un changement. Mais par dessus tout, ils apprirent qu’a chaque nuit donnée, les âmes désespérées étaient attirées vers le marais par ses terribles et grands secrets, les attendant dans les profondeurs de la tourbière. Et que ces âmes trouvaient un nouveau départ en ce lieu, multipliant la race, la rendant plus puissante et d’une sagesse collective.

Sortant de leurs plus profonds souvenir, le cercle de fir bog chanta des paroles de prospérité, qui étendaient leurs sens vers le monde. La froide lueur de la lune bleue éclairait leurs formes, grandes et droites ou courbées et noueuses, méditant profondément. Ils étaient plus que les caretakers du marais; leur responsabilité envers leur Royaume et leur monde était plus grande que ceux ne partageant pas leur fardeau ne pouvait l’imaginer.

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