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Il y a un vieux proverbe qui dit “Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort”. C’était peut-être vrai avant l’arrivée des tempêtes du Voile, mais, par les temps qui court, il convient plutôt de dire “Ce qui ne nous tue pas, pourrait nous transformer”.
C’est l’histoire d’une jeune femme dénommée Babdhbh, connue dans toute sa région pour ses talents de danseuse. Elle était souple, et pleine de grâce. Il se disait que, lorsqu’elle dansait, toutes les femmes souhaitaient être comme elle, et que chaque homme encore célibataire voulaient l’épouser. Avant la Percée du Voile, les gens venait du monde entier afin de la voir danser. La passion des gens était telle qu’il arriva même, un jour, qu’une rixe éclate, simplement car la jeune femme ne pouvait pas se rendre sur le lieu du spectacle. Malgré toute l’admiration et l’adoration qu’elle suscitait, Babdhbh n’avait d’yeux que pour un homme, un homme d’un âge bien avancé, nommé Donn. Malheureusement, ce n’était pas un homme bon, et il ne méritait pas autant d’amour et de dévotion. Il était d’une jalousie sans fin et ne supportait pas l’attention donnée à Babdhbh, même si elle, n’avait rien fait pour mériter une telle méfiance. Donn était aussi un homme violent et sujet à des colères furieuses, un mélange dangereux. Et pourtant, malgré tout, Babdhbh l’avait aimé depuis le premier jour, jour où Donn lui sauva la vie, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. C’était son grand amour. A ses yeux, c’était l’un de ces grands guerriers que l’on trouve dans les contes, et peu importe les offres des autres hommes, elle n’était jamais séduite ni ne déviait de son amour. Elle n’était que pour lui.
Lorsque Babdhbh eut atteint l’âge requis, ils se marièrent, lors d’une cérémonie très intime, très fleurie, dans les bois, et dansèrent ensemble toute la nuit, songeant à leur futur commun. Et pourtant, les années passant, leur relation se dégrada, devenant même volatile, empoisonnée par la jalousie maladive de Donn. La réputation et les compétences de Babdhbh grandissaient avec le temps, alors que Donn lui, ne faisait qui vieillir et s’aigrir encore un peu plus. Leurs disputes devenaient aussi célèbres que sa danse, ne pouvant rester à sa place, au point d’en arriver à la violence. Beaucoup de leurs amis commencaient à se questionner sur leur futur, et la sécurité de Babdhbh, surtout lorsqu’elle commença à se couvrir de plusieurs couches de maquillage pour cacher les traces des coups de Donn. Malheureusement, la préoccupation de ses amis n’était pas injustifiée, même si personne n’aurait pu imaginer à quel point la colère de Donn allait un jour le dévorer.
Le détachement de Babdhbh commença lors d’un voyage planifié vers un village voisin pour une représentation au mariage d’un couple de gens aisés. Son mari lui interdit de s’y rendre. Il soupçonnait que ce voyage ne soit qu’une ruse, une couverture pour des activités illicites. Il l’accusa d’infidélité, affirmant qu’il la savait éprise de quelqu’un dans ce village et qu’elle prévoyait de le rencontrer. Donn s’exprima de façon si méchante qu’elle n’arrivait pas à croire qu’il était l’homme dont elle était tombée amoureuse dans son enfance. Au début elle pleura, rejetant violemment toutes ses accusations, bien qu’en vérité elle sut que son mariage avait atteint le point de rupture. Elle lui dit alors que ce voyage serait sans retour. Elle en avait assez de cette union, de sa jalousie, de ses abus et elle allait commencer une nouvelle vie sans lui. Il entra alors dans une colère noire, la frappa violemment au visage l’envoyant rouler contre un mur de la maison. Il s’imaginait qu’en la frappant assez fort, elle ne pourrait pas partir. Il s’avança pour frapper de nouveau, sa rage n’étant pas atténuée. Avant qu’il ne puisse la cogner, Babdhbh attrapa une statuette et le frappa à la tête, l’assommant sur le coup. Regardant fixement le corps gisant au sol, la blessure à la tête saignant abondamment, comme c’est souvent le cas, Babdhbh pensait l’avoir tué. Confuse, et plutôt terrifiée, elle s’enfuit de la maison, courant chez un couple d’ami mutuel. Bien que cherchant sa femme, elle trouva l’épaule du mari pour déverser un torrent d’émotions, ses larmes détrempant sa tunique aussi bien que l’aurait fait la pluie. Il la réconforta avec ses mots, des embrassades et tenta de la calmer.
Mais, tel le destin choisit, Donn n’était pas mort. Il se réveilla après coup encore plus en colère qu’il ne l’avait jamais été, son mal de tête motivant encore plus sa rage. C’était un homme possédé. Il décrocha l’épée cérémonielle qui présidait au-dessus de la cheminée, et couru dans la nuit, criant son nom. Il se précipita de maison en maison, la recherchant. Malheureusement pour elle, il connaissait ses habitudes, et sa seconde supposition fut la bonne. Il entra en trombe dans la pièce, trouvant sa femme dans les bras d’un autre. Il s’élança vers eux, les accusant de parjure, et avant même qu’ils ne puissent bouger, les attaqua. Le pauvre ami était bien plus jeune que son mari, et malgré cela, il ne put faire face à la passion qui brûlait le cœur de Donn. Il se plaça entre Babdhbh et lui, cherchant quelque chose pour se défendre. Mais avant même qu’il ne puisse lever le bras, le vieil homme lui donna un coup violent à la tête, se moquant de lui alors qu’il tombait au sol. Babdhbh, hurla contre son mari, lui criant qu’il n’avait aucune raison de tuer ses amis. Elle lui rappela ô combien elle l’aimait, le suppliant d’arrêter, gémissant “Je ne t’abandonnerai jamais mon amour!”. Mais Donn ne pouvait pas l’entendre, bien trop perturbé par sa colère. L’assommant d’un seul coup, il les traîna ensuite tous les deux vers les bois.
Les prisonniers s’éveillèrent pour découvrir qu’ils étaient attachés les membres écartés entre deux arbres, bâillonnés et ficelés. Le visage de Donn, maintenant visible dans la lueur d’un petit feu allumé en hâte, était crispé dans un parfait masque de rage. Lorsqu’il vit qu’ils étaient éveillés, il répéta ses accusations. Avec un ricanement condescendant il leur assura que tout ça n’était pas de leur faute. La beauté de Babdhbh était la seule coupable, en particulier ses parfaites jambes de danseuse. Il blâma aussi la voie mielleuse et le corps ciselé du jeune homme. Il annonça qu’il allait prendre soin de tout ça et plaça l’épée de cérémonie dans les flammes. Devinant ce qu’il allait advenir, les deux commencèrent à se débattre violemment, tentant vainement de briser leurs liens. Leurs efforts firent sourire Donn et le tranchant de la lame commençant à virer au blanc, il sorti l’épée des flammes et s’approcha de Babdhbh. “Ne t’en fait pas mon aimée, tout sera bientôt terminé et nous seront heureux à nouveau. Cette lame a été bien chauffée, vos blessures seront immédiatement cautérisées et vous vivrez” dit-il d’un ton calme, dénué d’émotion ne reflétant pas l’insanité de son âme. Heureusement pour Babdhbh, elle s’évanouit avant qu’il ne commence son infâme travail, mais l’autre homme n’eut pas cette chance et cria de douleur alors que Donn déversait sa jalousie sur lui.
Lorsque Babdhbh se réveilla, elle se trouvait dans un lit étranger, soignée par un docteur local. Elle pouvait toujours sentir ses jambes et retira frénétiquement sa couverture, mais découvrit uniquement le mal que son mari avait vraiment accompli. Elle laissa échapper un cri déchirant qui retenti dans tout le village. Sa rage se transforma en sanglots quand elle apprit que son mari avait fui à l’approche des villageois et avait réussi à s’échapper. Alors qu’elle pleurait, elle souhaita mourir, mais ce qu’avait annoncé Donn était vrai, l’épée a cautérisé les blessures là où ses jambes furent coupée, juste en dessous des genoux. Dans sa folie, il lui avait aussi coupé la langue, et gravé finement, tel un rasoir, une blessure faisant le tour de son cou à la façon d’un collier.
Elle passa l’année suivante dans son village comptant sur ses économies et la gentillesse de ses amis et voisins. Son ami avait survécu aussi, mais il était parti, avec sa femme, loin de Babdhbh et des souvenirs de cette terrible nuit. Avec le temps, son âme s’assombrit encore plus, la colère et la soif de vengeance remplissant son cœur. Son mari était toujours libre, et elle, emprisonnée dans sa maison, incapable de danser ou ne serait-ce parler convenablement. Cependant, elle pouvait encore crier, et c’est ce qu’elle fit, crier, davantage encore lorsque la première Tempête du Voile arriva et entoura son village.
Le chaos tourbillonnant autour d’elle, Babdhbh pria pour son salut. Non pas pour profiter de la beauté de la vie, non. Elle souhaitait vivre uniquement afin de pouvoir se venger. Alors que le toit de sa maison était emporté, elle fit face à la Tempête, dont la colère n’avait d’égale que la sienne. Quand la tempête se termina enfin, Babdhbh avait mystérieusement disparu avec elle.
Pendant ce temps, Donn avait déménagé dans un village lointain, cherchant à refaire sa vie, et il y était relativement bien arrivé. Tout son monde avait aussi été perturbé à cause de la tempête. Mais il se considérait chanceux d’avoir survécu. Enfin, tout du moins jusqu’à cette soirée, lorsqu’il entendit frapper à sa porte alors qu’il lisait un livre au coin de la cheminée. Le son qui résonna n’était pas typique d’une personne frappant avec son poing. C’était un son étrange, que Donn ne réussit pas à identifier. Curieux, il ouvrit la porte. Il ne trouva personne, mais sentit comme une légère brise. Pensant qu’il s’agissait d’une farce venant d’enfants, il retourna lire son livre.
La nuit suivante lui réserva les mêmes événements, mais, une fois de plus, pensant qu’il s’agissait d’une farce, il alla se coucher sans se faire de soucis. Cela continua chaque nuit, le son devenant de plus en plus bruyant. Au bout d’une semaine, Donn sollicita l’aide d’un voisin, mais il apparut que personne, hormis lui, ne pouvait entendre ce bruit étrange. Cela le dérangea. Au cours des semaines suivantes, le bruit continuait de s’intensifier, tout comme sa crainte. Un soir, décidé à ne plus avoir à supporter ce bruit, il s’arma de son épée, la même qu’il avait utilisé contre sa femme, puis pris son tour de garde, espérant attraper les farceurs. Alors que le crépuscule basculait petit à petit vers la nuit, il découvrit finalement la source du bruit. Posté dehors, il contempla avec stupeur la tête de sa femme, flottant, dans le vide, au gré de la légère brise du soir frappant la porte avec son front. Son visage, autrefois beau et fin, se tordait maintenant de douleur et de rage, horrifiant. L’homme, sachant qu’elle était venue pour se venger, cria, confessa ses crimes et sa peine, puis courut de maison en maison en recherche d’aide. Ne voyant rien hormis la brume, ses voisins pensèrent que la tempête avait emporté ce qu’il lui restait de santé mentale, et décidèrent de l’enfermer, mettant en place une garder, afin de s’assurer qu’il ne se fasse pas de mal. Nuit après nuit, il se plaignait du bruit de quelqu’un frappant les murs de sa cellule, mais, comme depuis la première nuit, il était le seul à pouvoir entendre la moindre chose.
Pendant une année entière, la vie de l’homme était centrée autour de ces épisodes obsédants. Ses voisins finirent par se fatiguer de ses délires, et décidèrent de le libérer et le laisser livrer à lui-même. Cette nuit-là, date anniversaire de la mort et renaissance de Babdhbh, il rentra chez lui. Fermant bien la porte derrière lui, il alla s’asseoir prêt du feu, ayant son épée posée sur ses genoux. Il entendit alors un son derrière lui, et, étant maintenant un homme aux aguets, tourna rapidement sa tête. Ce qu’il vit lui parut impossible. Il s’agissait de sa femme, se balançant et bougeant comme la danseuse qu’elle était, apparaissant sans jambes, vêtue de sa robe en lambeaux. Il la contempla, choqué, en silence. Puis elle sépara la tête de son corps, à l’endroit où il avait lui-même creusé son cou, et commença à flotter dans sa direction. Sa tête cria alors un son perçant, semblant venu d’un autre monde. C’était une sorte de mélange entre grincements et hurlements. Il se prit la tête pour ne plus entendre, sans résultat. Sa tête proche de lui, elle ouvrit la bouche comme pour le dévorer. Puis le son le percuta, le frappa tel un mur de son, le jetant dans la cheminée. La tête continua à hurler, et le son l’attrapa, comme s’il s’était matérialisé, afin de la balancer dans le feu. Il était tout à fait conscient lorsque les flammes commencèrent à dévorer sa chair, joignant ses cris à ceux de sa femme, dans une cacophonie de douleur et souffrance.
Lorsque le matin se leva sur le village, le peu d’ami qu’il lui restait vinrent prendre de ses nouvelles. N’ayant pas de réponse à leurs appels répétés, ils ouvrirent la porte. Ils découvrirent son corps brulé et recroquevillé dans une posture improbable au milieu de la cheminée, son visage figé dans un dernier cri. Certains furent véritablement attristés de sa mort mais les autres pensèrent qu’il était mieux ainsi. En quittant la maison, personne ne remarqua l’absence de l’épée autrefois accrochée sur le porte manteau.
Ainsi s’achève la légende de la première Bean Sidhe. Elle fut la première de son genre, mais certainement pas la dernière.
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